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Le portrait peint
du "trouble de la ressemblance" au personnage fictionnel

“D'une fausse évidence, le portrait s'avère interroger la figuration humaine dans l'histoire de l'art, de la peinture et plus largement dans toute l'histoire de l'image jusqu'à nos jours. Le portrait légitime sa place dans le champ des arts graphiques et picturaux en se plaçant à l’origine même de tous les arts dont la stimulation émerge d'un amour passionné, d'un renoncement à l'absence, d'un désir de survie.

Par son ancrage à la figuration, le portrait peint devient un genre particulier dont toute la problématique s'ancre dans le cœur névralgique de la ressemblance. Qu'il tienne son intérêt dans l'efficacité synthétique de sa représentation, qu'ils tendent à une imitation « fidèle » et illusionniste du réel à des fins scientifiques, le portrait est une figure ambivalente qui s'anime d'une volonté d'inscrire les traits de l'autre pour tenter en vain d'en saisir l'essence.

Dès lors qu'il échoue dans cette perspective, le portrait s'envisage alors comme un masque qui peut se parer de multiples facettes. Portrait d'apparat, portraits royaux, peinture d'histoire, de ces genres émergent alors le portrait emblématique, qui cherche à se légitimer en s'érigeant dans la sphère noble de la transmission d'une mémoire culturelle. Mais par là même, le portrait manque son but en se parant de toutes les glorifications héroïques possibles qui retranscrivent davantage un idéal et un style, plutôt qu'une transmission objective de l'histoire. Mis en scène au sein de dispositifs plus vastes, le portrait devient un personnage qui s'anime, qui s'interroge sur sa propre histoire et sur son statut confrontant des références et des techniques de temporalité différentes.

L'écart que permet l'imitation picturale vient alors nourrir une représentation fictionnelle de ces nouvelles personnalités, dont le grotesque et le dérisoire, dans cette pratique, ne sont pas dénués d'une forme d'affectivité. Une intimité, qui émerge des enjeux même du portrait dont l'amour et la passion, le caractère commémoratif que lui attribue la jeune fille du potier Butadès dans le mythe de ses origines, semble avoir été transmis jusqu'à nos jours, dans cette relation si particulière qui se noue entre le modèle, le portraitiste et le spectateur. Le portrait s'inscrit dès lors comme l'objet témoin de cette relation, synthèse de ces expériences vécues partagées entre tous ces partenaires. Une objectivité et une retranscription du réel qui se perd par l'écart de mimesis au profit d'un réalisme expressif où de chaque figure émane sa propre « logique de la sensation », sa propre réalité subjective.

Mais au-delà, le portrait questionne également l'identité : puisqu'il est impossible de saisir autrui, est-il encore possible de donner une définition de l'altérité dont le portrait en serait l'incarnation ? Le portrait peint y répond, en restant une question, une aporie qui s'affirme dans son mystère, qu'il ne s'agit pas de résoudre, mais dans laquelle on peut se perdre à l'infini.”


J. Arroyas-Remigio, Le portrait peint : du "trouble de la ressemblance" au personnage fictionnel, Toulouse, 2019, p.263-264

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